Fin mars, j’ai atterri dans une classe de CE2 en théorie « complexe à gérer ». La moitié en grande difficulté scolaire ou comportementale. Les élèves qui n’arrivent pas à travailler ensembles et se chamaillent. 23 élèves sur 25 d’origine extra-européenne peu enclins à embrasser les valeurs républicaines. Une partie des parents non concernée par la scolarité de leur enfant ou en détresse sociale. Des élèves ULIS troubles cognitifs, dont 1 intégré à 80%.
3 mois après, la classe est quasiment transformée en classe « d’élite » (au moins concernant la forme et l’investissement au travail). Rigueur, coopération entraide, travail, respect entre élèves, et même sentiment d’appartenance à la République française et relation de confiance exceptionnelle avec le maître.
Comment est-ce possible ?
Réponse : pédagogie « Milimaitre d’école ». Une bonne partie des éléments a déjà pu être évoquée à travers les divers articles du blog mais je vais essayer de les synthétiser ci-après (j’avais déjà pu aborder certains points lors de ma présentation) :
1e élément que j’ai mis en place : relation de confiance avec les élèves.

- ma simplicité et la recherche du juste en sont garants.
- La considération des problèmes des élèves. En cas de souci, ils savent qu’ils peuvent compter sur moi. (en tant que chef, c’est un élément bien connu : les subordonnés viennent vous voir pour que vous les aidiez, s’ils ne viennent plus, c’est qu’ils n’ont plus confiance en vous)
- Quelques ingrédients supplémentaires (à bien manier) : l’humour (souvent décalé me concernant…. Ça permet en même temps de faire passer qques messages)
- Connaissances mutuelles (chacun raconte son week end, ses vacances, ses problèmes, et si possible transposer certains travaux scolaires en implication personnelle – par exemple la réalisation d’un herbier pendant les vacances, à partir des études faites au préalable…)
- L’enseignant est impliqué dans la classe et sait se mettre (de temps en temps) au niveau des élèves : quelques balles échangées en foot ou basket, dernier jour de piscine en maillot de bain et dans le bain avec les élèves à jouer au crocodile…
- Le bonus, étant mon objet de transition culturelle entre les élèves et moi : la guitare. (complétée par une petite chorale quotidienne en fin de journée avant de se quitter….)
2e élément : discipline (en fait, ça peut être placé en 1er ?!) :
- pour ça, pas de miracle, la fusée de comportement est excellente (cf. lien), surtout pour un suivi quotidien (voir suivi millimétré de chaque faux pas…) -> d’ailleurs, dans la classe, il y avait un élève qui était suivi au préalable de manière quotidienne avec un système complexe de graphique…. Je ne suis pas sûr que ça marchait, étant donné les pb qu’on me rapportait sur lui. Mon système ne consomme pas de temps, est clair pour tout le monde et réalisé pour tous. En plus d’un vrai rôle en classe, il permet aussi de faire la liaison avec la maison et d’impliquer les parents.
- En reprenant l’élément précédant (relation de confiance), la fusée étant couplée avec le système de responsabilité (cf. lien), ça incite la confiance mutuelle. De plus, ça amène la classe vers une forme de coopération et d’implication (cf. §3).
- Identification des élèves perturbateurs (« technique CRS » ! 🙂 et réorganisation complète des tables élèves permettant d’éloigner entre eux les élèves qui sabordent la classe. (et « utilisation » des timides comme remparts 🙂
- Garder un contrôle « permanent » sur les élèves -> en arrivant, le bureau de l’enseignant était en fond de classe, sans aucun visuel sur le visage des élèves… (euh… j’ai connu… ça s’appelle le COVID et le port du masque ! ah non, c’est surement de la bienveillance pour ne pas montrer aux élèves qu’on les surveille) j’ai réorganisé pour le mettre devant les élèves. Il était indispensable que je puisse identifier très rapidement les problèmes (ceux qui ne travaillent pas, ceux qui ne laissent pas les autres travailler, ceux qui ne comprennent pas…)
- (pour l’organisation spatiale, se référer à mon article « organisation spatiale et modulable » – ça fait aussi un lien avec le 3e élément)
3e élément : Coopération et cohésion

- Les 2 éléments précédents – relation de confiance et discipline – sont à la fois préalables et aussi encore plus favorisés par la coopération et cohésion.
- La base de la coopération est simple et connue depuis longtemps -> le travail en binôme (bouh, pas bien le rang d’oignon…. Bah si en fait) ! Avant ma prise en main de la classe , 3 élèves les plus en difficulté étaient sur des tables individuelles sans aucune autre aide que l’enseignant. Ils ont désormais eu chacun un tuteur qui les suivait individuellement.
- Bilans de fin de journée (les élèves expliquant ce qu’ils ont bien aimé ou pas aimé – faut pas avoir peur de la critique), conseils d’élèves en fin de semaine (chacun parle avec franchise, explique ses problèmes, et on essaye tous de trouver des solutions).
- Tutorat (ça me permet de m’impliquer beaucoup moins sur des éléments non essentiels, et en plus les élèves apprennent à vivre ensemble). Dans certains cas, le tuteur peut même être le responsable en cas de problème (ça m’est déjà arrivé de punir un tuteur car l’élève qu’il suivait n’écoutait pas, n’avait pas une bonne posture ou que le tuteur n’avait pas réalisé la bonne correction).
- Pour certaines activités, des élèves qui sont moniteurs d’atelier (ou tuteurs collectifs)
- (et en cas de problème de discipline, exclusion du groupe….ne plus être intégré dans la coopération est dur et une vraie punition… et le travail devient alors plus complexe et rappelle la nécessité de la coopération… cercle vertueux)
- Pour la cohésion de manière spécifique: chacun à sa place et à son niveau, activités de groupe (coopérative)… et l’activité que j’apprécie le plus, la chorale
- Et bien sûr, toute occasion est bonne pour faire la fête et créer des moments de partages et de cohésion : anniversaires, noël, carnaval, fête de l’école…
4e élément : la posture et attitude des élèves – préalable à tout travail

En arrivant (… et encore un peu maintenant si je laisse faire !), la majorité des élèves avachies, qui se penchent, qui rendent un travail non soigné, qui ne travaillent pas ou attentistes. Face à tous ces problèmes :
- Réapprendre la position des élèves, l’assise sur la chaise, les mains sur la table, tenue du stylo… Et répéter régulièrement.
- Exemplarité du maître qui est modélisante pour les élèves
- coopération (cf. §3)
- Certains éléments abordés au §5 travail (attention, motivation…)
- Exigence continue : le maître ne doit rien lâcher et maintenir une rigueur. (à commencer par la forme: soin, faire réécrire les mots ou phrases illisibles… faire recommencer… et ce jusqu’à ce que le travail soit propre.) -> pour le droit à l’erreur, j’aime bien faire travailler les élèves au crayon, ou stylo effaçable.
- (et aussi la nécessité que les élèves disposent de tous leurs outils de travail… ça, c’est plus dur, mais on y arrive)
5e éléments : le travail et l’implication des élèves
- Valoriser le travail et la réussite. être franc.
- Exigence continue : ne rien lâcher. Tant que le travail n’est pas réussi, les élèves doivent poursuivre leur recherche, leur exercice. Pour comprendre ce qui ne va pas : leur leçon à disposition, leur voisin ou tuteur et enfin le maître.
- Susciter l’attention :
- les élèves ne doivent disposer que des affaires nécessaires au travail, tout le reste doit être retiré.
- Tous les ½ heures, changement de posture et de type de travail des élèves. + pause hydratation/étirement (voire pause dynamique : flexions, petite chorégraphie…)
- Et quand ça ne va pas, et il faut remobiliser l’attention, rien de tel qu’un « bon garde à vous » ?…. Ah non, en fait, c’est pas l’armée ! ce que je fais en général : « 1, 2, 3, soleil » ou « main en l’air » (le dernier est pas mal car il oblige aussi à retirer tous ce que les élèves ont dans leur main… dont des éléments perturbateurs)
- Un petit regret concernant les supports utilisés. Je travaillais sur des manuels (pas eu trop le choix) et pour la moitié des élèves, il aurait été préférable de disposer de supports beaucoup plus guidés comme des fichiers. (certes, ça coûte plus cher, et ça ne prépare pas forcément au CM1… mais bon, pour des CE2 qui sont « génération COVID », faut s’adapter un minimum)
- Motivation : (« le bâton et la carotte »)
- Un peu de compétition, travail en temps limité ; (à l’inverse, si pas fini, moins de récré pour terminer l’exercice)
- Diversifier les supports
- Travailler des fois à partir de thématiques que les élèves connaissent (un peu de démagogie de temps en temps). La meilleur thématique dans ce cas étant « eux-mêmes » (surtout dans les travaux d’écriture)
- Solliciter régulièrement les élèves (sans jamais en oublier)… -> le système de furet est intéressant pour n’oublier personne (n’ayant pas beaucoup de mémoire, ça me va bien en tout cas).
- Savoir féliciter ou critiquer les élèves (point d’orgue : le dernier jour, j’ai récompensé la meilleure élève de la classe en offrant un livre)
- Enfin, un peu d’excentricité, ça ne fait pas de mal et les élèves se souviendront toute leur vie : par exemple, j’ai travaillé sur la Marseillaise et le « 14 juillet »…. Rien de tel que de venir en tenue de garde parisien révolutionnaire et de faire une sorte de « bénédiction républicaine » avec mon drapeau tricolore accroché sur une hampe, en chantant la Marseillaise !
- Présentation de travaux devant les autres élèves ou autres classes (ça permet de responsabiliser et de susciter un peu de fierté)
- (Bon à savoir, je n’ai presque jamais puni d’élèves…)
- Etc….
- Pédagogie d’accompagnement :
- j’avais déjà abordé une possibilité de travail individualisé, adapté à chaque élève (article: Entrainement, entraide et suivi personnalisé )
- Utiliser l’erreur comme moyen d’apprentissage.
- Permettre aux élèves d’avoir un retour réflexif « immédiat » sur son travail – feedback – cf. lien
- Être une personne ressource pour les élèves
(j’aime bien l’extrait suivant : « L’accompagnement c’est donc d’abord un contrat. Un contrat d’objectif, contrat moral passé entre l’adulte et l’enfant. Dès le départ de la course, tous deux sont liés. L’un n’abandonnera pas l’autre à la première difficulté. Mais chacun a sa place. L’un est plus fort, plus réfléchi. L’autre est un enfant qui ne possède pas encore tous les atouts. Il est en devenir. Ce sont deux personnalités qui ne vont rien renier et qui ne se jugeront point. L’accompagnement c’est donc le respect mutuel, mieux, la considération de l’autre. L’adulte ne fera preuve ni d’infantilisme ni de démagogie…» (https://pedagogie.afocal.fr/2009/03/03/pedagogie-accompagnement-2/)
- Emploi du temps adapté. En particulier, j’avais commencé à réaliser un enchainement hebdomadaire de certaines matières… problème, d’une semaine sur l’autre les élèves oubliaient le cours et n’avaient pas fait le travail à la maison… Donc soit je critique les parents et les enfants pour leur mauvaise volonté, soit je fais mon autocritique… Privilégiant le 2e point, j’ai donc décidé de ritualiser l’ensemble des disciplines au quotidien et ainsi de revenir quotidiennement sur chacune des leçons abordées. (en générale, je réalise 2 séances espacées d’un jour, ce jour ayant alors un entrainement ritualisé reprenant la notion de la veille) Ainsi, si les élèves n’ont pas compris et ne réussissent pas, c’est de ma faute et je recherche des solutions. (je ne m’appuie pas que sur la bonne volonté des enfants ou de leurs parents)
- En langage « pédagogie militaire », on pourrait appeler ça une pédagogie participative par objectifs.
- Avoir une connaissance fine du niveau des élèves. Pour ce faire, suivi des évaluations régulières. (et éventuellement un suivi clair du niveau atteint – cf. lien)
- Adapter le travail demandé au niveau réel des élèves : ainsi par exemple, 4 élèves travaillaient sur des fichiers de maths CE1. En français, certains travaillaient sur un cahier d’écriture calligraphie…. mais pas toujours aisé, certes. Et ainsi travailler par petits objectifs.
- Humour et joie d’être en classe (à l’inverse, que de larmes le dernier jour en partant en vacances, certains élèves seraient bien restés quelques semaines en plus !) – cf. article sur ce sujet- lien
6e élément : Relation et implication des parents
- Juste ce qu’il faut – simple et efficace : ne pas trop solliciter. (sinon les parents ne regarderont plus les mails ou les mots transmis…. C’est pareil pour nous, quand on reçoit trop de mails d’un organisme, soit on supprime automatiquement soit on se désabonne voire on le signale comme hameçonnage)
- Travail à la maison adapté.
- Implication de parents accompagnateurs lors des sorties scolaires (et en profiter pour échanger et prendre le pouls)
- Organisation d’une fête fin d’année incitant les parents à se rendre en classe.
- Questionnaire qualité (les parents se sentent intégrés à la communauté éducative quand on leur propose de donner leur avis) – cf. lien
- Être honnête et juste lors des évaluations-> J’ai remarqué que certains anciens LSU d’élèves en difficulté préféraient omettre les grandes difficultés des élèves en question et essayaient de valoriser les quelques compétences de l’élève…. Certains appellent ça de la bienveillance. Moi, j’appelle ça de la lâcheté et du mensonge. Même si la vérité peut faire mal et est dure à dire, je pense que le mensonge dessert l’élève à long terme. (même si rien n’interdit de s’appuyer sur les qualités et d’encourager, évidemment).
7e élément : Relation avec l’équipe :
- Ne connaissant pas beaucoup le niveau de CE2 (soi-disant rattaché au cycle 2… mais à mon sens très différent du CP), j’ai sollicité ma binôme enseignante qui avait l’autre classe de CE2 et j’ai pu récupérer pas mal de documents et conseils.
- De même, j’ai sollicité mes collègues pour la connaissance des élèves et des problèmes familiaux qui sont des éléments essentiels pour comprendre rapidement des situations complexes.
- Enfin, le travail dans une bonne ambiance, que ce soit en classe ou à l’école en général, est important. Chacun participant à son niveau et avec un degré plus ou moins important à la vie de l’école.
Bilan de ces 3 mois : travail et implication de tous les élèves (à défaut de réussite de tous, vu le niveau de départ de certains, au moins une belle progression de chacun), esprit de coopération, entraide… et même un peu de fierté retrouvé. (bon, même si grande tristesse des élèves de partir en vacances et de ne plus me voir 🙂
Pour tout ce travail réalisé…. Compter environ 40h/semaine, ce qui est assez peu finalement en comparaison à ce que j’ai déjà pu réaliser dans d’autres classes – et de la moyenne de travail de 44h hebdomadaire pour les professeurs de écoles. (Après, je suis conscient que cette pédagogie est difficile à transmettre à d’autres enseignants et s’appuie surtout sur de l’expérience et une implication passionnée). Sinon, il y a aussi un « petit » côté « hussard noir de la République » (avec l’humour en plus et une prise en charge un peu plus individuelle!) ou de chef militaire au combat (cf. article sur « Freinet, un pédagogue en guerres« ).

J’ai pu mettre en place la situation de binômage et la franchise. Ça permet vraiment de faire progresser le tuteur et le tutoré. Pour la franchise, cela a plutôt permis une mise au travail des élèves en difficulté. Si on n’est pas cassant cela fonctionne.
Je n’ai pas de compétences musicales, à mon grand regret. Néanmoins, j’ai remplacé cela par le jeu. La ludification me faisait fuir au début mais, bien réalisée, c’est véritablement un plus.
Merci pour cet article qui me donne envie de découvrir d’autres manières de penser.
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Merci ! (et en plus j’ai appris le mot « ludification »)
Par ailleurs, je te confirme que l’entrée par le jeu est super niveau péda et concoure à la bonne ambiance, la motivation.
Bonne continuation à toi
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